Même si cela semble constituer une tendance actuelle, toutes les réglementations en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises ne sont pas en recul. L’une d’entre elles en particulier, qui sanctionne la pratique dite d’« écoblanchiment » ou de « green washing » est en train de s’installer progressivement dans le paysage juridique, et a vocation à être un outil précieux pour la responsabilisation d’acteurs qui pourraient être tentés de profiter indûment du mouvement de re-libéralisation en cours des questions environnementales.
Les pratiques commerciales trompeuses sont vieilles comme le commerce, et savent parfaitement s’adapter aux enjeux du moment. Ce n’est en revanche pas nécessairement le cas de leur répression qui, en partie contrainte par le principe d’interprétation stricte du droit pénal, peine à explorer des territoires qui ne sont pas spécifiquement visés par les textes.
Il n’est donc pas surprenant que le nombre de sanctions d’annonces mettant en avant les vertus écologiques plus ou moins réelles de produits ou de services n’aient pas été aussi nombreuses que les boniments que tout un chacun a pu voir ces dernières années.
Toutefois, cette ère pourrait bien être révolue, car l’arsenal législatif des pratiques commerciales trompeuses a été verdi, d’abord avec un vert léger (1), désormais en vert foncé (2), de sorte que les tribunaux commencent à utiliser l’arme verte (3).
Verdissement léger des pratiques commerciales trompeuses
L’article L. 121-2 du code de la consommation, issu de la transposition de la directive du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, définit comme trompeuse une pratique commerciale créant une confusion, ou reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire le consommateur en erreur.
La CJUE a précisé qu’une pratique commerciale devait être qualifiée de trompeuse, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive précitée lorsque cette pratique, d’une part, contenait des informations fausses ou qu’elle était susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen et, d’autre part, était de nature à amener le consommateur à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement (CJUE 19 décembre 2013 Trento Svilippo C-281/12).
L’article L. 121-3 ajoute que la pratique peut être trompeuse par omission. Aux termes de ce texte, une « commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte ».
Comme la Commission européenne l’a indiqué dans une communication du 29 décembre 2021 comportant des orientations concernant l’interprétation et l’application de la directive relative aux pratiques commerciales, celle-ci ne prévoit aucune règle spécifique relative aux allégations environnementales. Selon la Commission, « les expressions “allégations environnementales” et “allégations écologiques” désignent la pratique consistant à laisser entendre ou à donner l’impression de toute autre manière (dans une communication commerciale, le marketing ou la publicité) qu’un bien ou service a un effet positif ou n’a pas d’incidence sur l’environnement ou est moins néfaste pour l’environnement que des biens ou services concurrents. Lorsque ces allégations sont fausses ou ne peuvent être vérifiées, on parle souvent d’“écoblanchiment” » (Communication 2021/C 526/01).
Toutefois, la Commission indique que la directive fournit un fondement juridique pour garantir que les professionnels ne présentent pas d’allégations environnementales d’une manière déloyale vis-à-vis des consommateurs. L’article 6 de la directive implique en effet que les consommateurs doivent pouvoir se fier aux allégations avancées par les professionnels, et par conséquent parmi celles-ci aux allégations environnementales.
Avant même la publication de cette communication, le législateur français l’avait clarifié en complétant les dispositions de l’article L. 121-2 du code de la consommation.
Aux termes de ce texte, les allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire le consommateur en erreur peuvent concerner l’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service, ses caractéristiques essentielles, le service après-vente, la portée des engagements de l’annonceur, l’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel, ou le traitement des réclamations et les droits du consommateur.
La loi climat et résilience du 22 août 2021 a précisé que les caractéristiques essentielles du bien pouvaient comprendre « ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, notamment son impact environnemental », et que les engagements énoncés peuvent l’être « notamment en matière environnementale ».
Verdissement soutenu des pratiques commerciales trompeuses
La directive du 28 février 2024 donnant aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition verte grâce à une meilleure protection contre les pratiques déloyales et grâce à une meilleure information modifie l’article 6 de la directive du 11 mai 2005, qui définit les actions trompeuses, pour y intégrer la dimension environnementale.
Ainsi, en premier lieu, elle inclut les caractéristiques environnementales et sociales dans les caractéristiques du produit sur lesquelles une information mensongère ou susceptible d’induire en erreur un consommateur peut porter.
En deuxième lieu, elle ajoute à cet article une disposition indiquant qu’une allégation relative aux performances environnementales futures est réputée trompeuse si elle ne comporte pas d’engagements clairs, objectifs, accessibles au public et vérifiables inscrits dans un plan de mise en œuvre détaillé et réaliste incluant des objectifs mesurables et assortis d’échéances ainsi que d’autres éléments pertinents requis à l’appui de sa réalisation, tels que l’affectation de ressources, et régulièrement vérifié par un tiers expert indépendant, dont les conclusions sont mises à la disposition des consommateurs.
En troisième lieu, constitue également une allégation environnementale trompeuse la publicité d’avantages pour les consommateurs qui ne sont pas pertinents et ne résultent d’aucune caractéristique du produit ou de l’entreprise.
Cette disposition vise à interdire des arguments marketing artificiels tels qu’une eau « sans gluten » ou un papier « sans plastique », qui induisent une valeur environnementale dénuée de sens.
Enfin, la directive enrichit la « liste noire » des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances en y ajoutant plusieurs pratiques concernant l’écoblanchiment.
Constitue ainsi une pratique interdite le fait de présenter une allégation environnementale générique au sujet de laquelle le professionnel n’est pas en mesure de démontrer une performance environnementale reconnue en rapport avec l’allégation.
Les mentions telles que « écologique », « bon pour l’environnement », « biodégradable » ou « biosourcé » sont par exemple interdites lorsqu’elles ne sont pas étayées par une telle démonstration.
Sont également prohibées les allégations attribuant à l’ensemble du produit ou à l’entreprise des caractéristiques environnementales qui ne concernent en réalité qu’un des aspects du produit ou une activité spécifique de l’entreprise du professionnel.
Par exemple, un emballage recyclé ne permet pas de présenter l’ensemble du produit comme « fabriqué à partir de matériaux recyclés ».
Cette directive doit encore être transposée par le législateur français dans le code de la consommation pour être pleinement applicable. Toutefois, ses dispositions peuvent déjà recevoir un certain effet, dans la mesure où le juge peut interpréter le droit français à leur lumière.
Utilisation par les tribunaux de l’arme verte
A l’exception d’une décision de la cour d’appel de Lyon du 29 octobre 2008, confirmée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 6 octobre 2009, qui avait condamné les dirigeants de Monsanto pour avoir fait figurer sur l’emballage de leur célèbre produit, le Roundup, un logo avec un oiseau et les mentions « respect de l’environnement », « propre », « efficacité et sécurité pour l’environnement », il n’y avait pas en France d’exemple de sanctions d’allégations environnementales au titre des pratiques commerciales trompeuses.
Cependant, le 17 février 2025, le tribunal des activités économiques de Paris a jugé (RG n° 2023006576) que des sociétés s’étaient rendues coupables d’actes de concurrence déloyale du fait de pratiques commerciales trompeuses en présentant un vernis à ongles nommé « Le Bio » comme un « vernis semi-permanent bio-sourcé », qualifié par la marque lors de son lancement comme « le plus sain et le plus écologique », « doté d’une nouvelle formule de vernis bio-sourcé », « formulé à partir d’ingrédients végétaux » et contenant 12 substances chimiques en moins.
Le tribunal a en conséquence condamné ces sociétés, sous astreinte de 1.000€ par jour de retard dans un délai de 90 jours suivant la signification du jugement à intervenir, à supprimer la mention « Le Bio » dans la dénomination, l’emballage, les supports de présentation, de commercialisation et de publicité de leurs produits, et sur tout autre support quel qu’il soit, même numérique et audiovisuel, y compris sur le moteur de recherche Google.
Plus récemment, le tribunal judiciaire de Paris a jugé le 23 octobre 2025 (N° RG 22/02955) que les sociétés TotalEnergies et TotalEnergies Electricité et Gaz France avaient commis des pratiques commerciales trompeuses, en diffusant, à partir du site www.totalenergies.fr, des messages reposant sur les allégations portant sur leur « ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 » et « d’être un acteur majeur de la transition énergétique » de nature à induire en erreur le consommateur, sur la portée des engagements environnementaux du Groupe.
Le tribunal a considéré, en interprétant le droit français à la lumière de la directive de 2024, que cette communication avait un caractère trompeur, dans la mesure où TotalEnergies se présentait comme ayant pour « ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 » et « d’être un acteur majeur de la transition énergétique » tout en ne faisant pas état de « son propre scénario, dont il n’appartient pas au tribunal d’évaluer la véracité, consistant notamment à rendre compatible avec son ambition de neutralité carbone, la poursuite de ses investissements dans le pétrole et le gaz, à rebours des préconisations des travaux scientifiques alignés sur l’Accord de Paris ».
En outre, le fait d’afficher son ambition de contribuer à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, « accompagnée d’aucune explication ni renvoi, hormis de l’adjonction " ensemble avec la société " en référence, dans le cadre de l’Accord de Paris, à l’objectif collectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et qui laisse comprendre au consommateur, que le groupe s’y engage sans nuance, constitue une affirmation générale constitutive d’une omission trompeuse ».
Le tribunal a donc fait injonction à TotalEnergies et TotalEnergies Electricité et Gaz France de cesser cette communication dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision, et passé ce délai, sous astreinte provisoire de 10.000 euros par jour de retard pendant une durée de 180 jours.
Le tribunal leur a également ordonné, sous la même astreinte, de publier de façon visible un lien vers la décision pendant une durée de 180 jours.
Enfin, le tribunal a jugé que ces sociétés avaient engagé leur responsabilité civile à l’égard des associations demanderesses et les a condamnés à verser à chacune de ces dernières la somme de 8.000 € (huit mille euros) en réparation de leur préjudice moral.
Cette décision est importante dans la mesure où elle sanctionne une communication de portée générale au motif que, « si cette communication reprend des éléments informationnels dans le cadre de changement de nom et de stratégie du groupe TE, il ressort clairement de son examen que ces éléments sont utilisés par la société TE&GF sur son site commercial, à destination des consommateurs, pour promouvoir ses offres, telles que “rechargez votre véhicule chez vous avec de l’électricité verte”, “produisez et consommez votre propre énergie” en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs. »
Le lien fait entre les communications institutionnelles et les démarches commerciales permet ainsi de sanctionner les premières sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses. Il n’est dès lors pas impossible que des informations données dans le cadre du rapport de gestion puissent être sanctionnées si elles servent d’argument dans le cadre de campagnes promotionnelles et qu’elles remplissent les critères de la tromperie au sens des articles L. 121-2 à L. 121-4 du code de la consommation.
Ces décisions, comme l’évolution des dispositions en matière de pratique commerciale trompeuse qui les fondent, montre que l’avenir en matière de RSE tient sans doute davantage à la précision du cadre existant plutôt qu’au développement au pas de course de législations autonomes plus ou moins bien intégrées au droit positif.
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