Ne dit-on pas « un battement d’ailes de papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ». Mais qu’en-est-il lorsque l’effet papillon provient du pays de l’oncle Sam ?
Alors que Donald Trump vient de célébrer en grandes pompes les 100 premiers jours de son second mandat à la Maison Blanche, il est venu le temps de faire un premier bilan.
Par-delà les polémiques, les avis tranchés des pros comme les antis et les débats enflammés provoqués, il est certain d’affirmer que les actions de l’administration Trump ont ou auront un impact pour de nombreuses personnes, organisations et juridictions.
Parmi la centaine de décrets signés par le président, il y en a un qui n’a pas manqué de faire réagir dans les sphères de la conformité mondiale : la suspension de la FCPA (Foreign Corrupt Practices Act).
Dès février 2025 et pour une durée de 180 jours, cette directive est mise en pause. Cette décision introduit une période d’incertitude qui pourrait impacter l’application de la loi Sapin II en France et la conformité en général.
Historique et importance de la FCPA
Il va de soi que la Foreign Corrupt Practices Act a contribué à façonner la lutte contre la corruption dans le reste du monde et plus particulièrement au sein de l’Union Européenne.
Par sa longévité dans un premier temps, avec son application effective depuis 1977 sous la gouvernance de Jimmy Carter.
Puis par son caractère pionnier dans les domaines de :
- La lutte extraterritoriale contre la corruption, où la FCPA a été l’une des premières lois à interdire la corruption d’agents publics étrangers par des entreprises et des individus américains, où qu’ils opèrent dans le monde
- L’interdiction des actes de corruption, avancée significative qui interdisait explicitement l’offre, la promesse ou le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires étrangers pour obtenir ou conserver des avantages commerciaux
- Contrôle interne et obligations comptables, décision cruciale axée sur la transparence et la prévention visant à imposer des obligations aux entreprises cotées en bourse aux États-Unis de tenir des registres précis et de mettre en place des systèmes de contrôle interne pour prévenir et détecter les paiements illicites
- La responsabilisation des entreprises, qui a eu pour conséquence d’inciter les organisations à mettre en place des programmes de conformité pour se prémunir contre les risques de corruption
- La création d’un nouveau standard éthique pour les sociétés opérant à l’échelle globale, en criminalisant la corruption transnationale
Son influence est telle qu’elle a joué un rôle de catalyseur et de modèle dans le développement de nombreuses lois de conformité en Europe et notamment en France avec la loi Sapin II.
Sapin II : une descendance certaine
La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, plus connue sous le nom de Sapin II, d’après son instigateur Michel Sapin, est depuis son adoption en 2016, LA référence législative dans la lutte anti-corruption en France. Comme l’a affirmé M. Sapin : « la loi permettra de mettre la France au niveau des meilleurs standards internationaux dans les domaines de la transparence et de l’action contre la corruption ».
Parmi ces meilleurs standards internationaux se situe sans aucun doute la FCPA qui l’a influencé dans les domaines suivants :
- Portée extraterritoriale, qui s’applique à certaines entreprises françaises et à leurs filiales à l’étranger en cas d’actes de corruption commis en dehors des frontières
- Obligation de conformité, qui s’s’inscrit dans la lignée de FCPA en imposant aux grandes entreprises françaises un ensemble d’obligations en matière de conformité, telles que l’élaboration d’un code de conduite, la mise en place de procédures d’alerte interne, la cartographie des risques de corruption, et la réalisation de contrôles comptables
- Création d’une agence dédiée, au même titre que la SEC (Securities and Exchange Commission) et le DOJ (Department of Justice) aux États-Unis, la France dispose de son propre organisme, l’AFA. L’Agence Française Anticorruption est chargée de veiller à l’application de la loi et d’accompagner les entreprises dans la mise en œuvre de leurs programmes de conformité
- Sanctions, financières et substantielles en cas de non-conformité
- Enfin, et pas des moindres, la reconnaissance de la nécessité d’une coopération internationale avec les autorités étrangères
La loi Sapin II, avec sa portée extraterritoriale et ses obligations de conformité pour les entreprises, témoigne de cette influence et de la reconnaissance croissante de la nécessité d’une action concertée au niveau international pour lutter efficacement contre la corruption.
Mais du coup, quelles conséquences la pause du FCPA a-t-elle sur les lois de ce côté de l’Atlantique ?
Impact ou pas
« Il n’y a pour l’heure, pas de raisons de s’inquiéter ». C’est en substance ce que les experts annoncent.
Pour votre information, certaines citations et une partie des conclusions de ce chapitre proviennent des tables-rondes ayant eu lieu lors du GACS 2025 à Paris en avril, où des spécialistes et professionnels reconnus de l’éthique, de la gouvernance, du RSE ou de la justice ont discuté de nombreux thématiques autour de la conformité et de l’anticorruption. Pour des raisons de confidentialité, les identités seront la plupart du temps anonymisés.
S’ils reconnaissent dans l’ensemble qu’il pourrait y avoir un impact sur les entreprises françaises, ils conviennent tout de même que « l’UE a un système réglementaire solide parfaitement capable de résister aux évènements externes ». Néanmoins le risque zéro n’existe pas et certaines voix soulèvent que « le FCPA n’est pas que pour les États-Unis ». Il y en a même qui voient en la directive de Trump une menace pour la cohésion des pays membres : « l’absence de coordination entre états pour avoir des lois uniformes est préoccupant » et que « quand il s’agit d’harmoniser le socle législatif, cela ne va pas vite ».
Enfin, des incertitudes planent autour des premières concernées, les entreprises : « tel un effet de domino, est-ce que cette disparité de conformité mondiale va entrainer les multinationales à aller contre les politiques des états dans lesquels elles sont implantées ? ».
De la confiance, des doutes et des questions sans réponses claires. C’est en résumé ce que les experts français ressentent.
Dès lors, peut-on estimer que ce qui se trame du côté de Washington peut affecter de manière modérée à court-terme et sévère à long-terme les organisations européennes tant au niveau de la conformité que des échanges commerciaux ?
Une nouvelle définition de l’anti-corruption ?
- Un signal de relâchement potentiel : La suspension de l’application de la FCPA par les États-Unis pourrait être interprétée par certaines entreprises comme une façon de ralentir les efforts de lutte mondiale contre la corruption. Cela pourrait potentiellement affaiblir les efforts de conformité au sein de ces entreprises, y compris celles basées dans l’UE ou y opérant
- Renforcement des initiatives européennes : En réponse à la suspension de la FCPA, les principales agences anti-corruption européennes (France, Royaume-Uni, Suisse) ont créé en mars 2025 un groupe de travail international pour renforcer la coopération et l’application des lois anti-corruption en Europe et au-delà. Cela indique une volonté de l’UE de maintenir, voire d’intensifier, ses propres efforts en matière de conformité et d’anti-corruption
- Focus accru sur les réglementations européennes : Les entreprises pourraient devoir accorder une importance accrue aux lois anti-corruption de l’UE et de ses États membres (loi Sapin II, UK Bribery Act etc.), qui ont une portée extraterritoriale et peuvent s’appliquer aux entreprises ayant des activités dans ces juridictions, même si elles ne sont pas basées dans l’UE
- Risque de divergence des normes : Une divergence potentielle entre les normes américaines (pendant la suspension) et européennes en matière de lutte contre la corruption pourrait créer des complexités pour les entreprises multinationales opérant dans les deux zones. Elles devront naviguer entre des exigences potentiellement différentes
- Maintien des obligations existantes : Il est important de noter que la suspension de la FCPA est temporaire et ne signifie pas que les actes de corruption deviennent légaux. De plus, d’autres lois américaines (comme celles relatives au blanchiment d’argent) et les propres lois anti-corruption de l’UE restent en vigueur. Enfin, il est utile de préciser que le délai de prescription pour le FCPA est de 5 ans et qu’il s’étendra au-delà du mandat de Donald Trump, ce qui signifie que la prochaine administration pourrait faire appliquer les violations du FCPA et le fera probablement
Business as usual ?
- Incertitude juridique et commerciale : La suspension de la FCPA crée une période d’incertitude quant à l’orientation future de l’application des lois anti-corruption au niveau mondial. Ces doutes peuvent impacter les décisions commerciales et les investissements transatlantiques
- Nécessité d’une diligence raisonnable accrue : Les entreprises européennes engagées dans des échanges commerciaux avec des partenaires américains ou opérant aux États-Unis devront redoubler de vigilance en matière de diligence raisonnable pour s’assurer que leurs partenaires respectent des normes éthiques et anti-corruption adéquates, même pendant la suspension de la FCPA
- Impact sur les enquêtes transfrontalières : La coopération entre les autorités américaines et européennes en matière d’enquêtes sur la corruption pourrait être temporairement affectée par la suspension de la FCPA, bien que les initiatives européennes récentes visent à combler ce vide
Conclusion optimiste
Bien que la pause de l’application de la FCPA puisse créer un changement temporaire dans le paysage mondial de la lutte contre la corruption, il est peu probable qu’elle entraîne un relâchement de l’application de la loi Sapin II en France. Les autorités françaises signalent un engagement en faveur d’une application continue, voire renforcée. Les entreprises soumises à la loi Sapin II ne devraient pas considérer la situation américaine comme une occasion de réduire leurs efforts de conformité. Le maintien d’un programme de conformité solide et efficace reste essentiel pour atténuer les risques et respecter les exigences des réglementations françaises et potentiellement d’autres réglementations européennes.
Et comme l’a dit une haute-responsable de l’AFA : « la corruption n’est jamais une bonne chose » !
Qu’elle soit appliquée ou non aux États-Unis, la conformité à la FCPA est recommandée pour les efforts de lutte contre la corruption à long terme et la résilience des entreprises. Pour en savoir plus sur la façon dont NAVEX soutient la conformité à cette réglementation essentielle, visitez la page liée ci-dessous.