Le 10 février 2025, le président Trump a signé un Executive Order intitulé « Pausing Foreign Corrupt Practices Act Enforcement to Further American Economic and National Security », afin de s’assurer que le FCPA n’était pas « étendu au-delà des limites appropriées et utilisé à mauvais escient d’une manière nuisant aux intérêts des États-Unis », qu’il n’en était pas fait usage « contre les citoyens et les entreprises américains pour des pratiques commerciales courantes dans d’autres nations », et qu’il n’était « pas appliqué d’une manière nuisant à la compétitivité économique américaine et, par conséquent, à la sécurité nationale ».
Dans cette perspective l’Executive Order enjoint au ministère de la Justice, par l’intermédiaire de l’Attorney General, de prendre plusieurs mesures, et notamment de publier de nouvelles lignes directrices pour régir les enquêtes et les mesures d’exécution décidées et mises en œuvre en vertu du FCPA.
Ces nouvelles lignes directrices ont été publiées le 20 juin dans un memorandum du Deputy Attorney General, Todd Blanche, et sont applicables à compter de cette date.
Leur mise en œuvre effective devra être regardée avec attention par les entreprises et les pouvoirs publics européens, car pour garantir que les enquêtes et les poursuites engagées au titre du FCPA sont menées conformément à l’Executive Order du président Trump, quatre directives principales sont énoncées (1), formant les quatre axes d’une boussole qui indique toujours le même cap : promouvoir les intérêts américains (2).
Quatre directives principales de mise en œuvre du FCPA
Le premier axe s’inscrit dans la volonté du président Trump d’élimination totale des cartels et des organisations criminelles transnationales (OCT), qu’un Executive Order du 20 janvier 2025 ordonnant au gouvernement fédéral de réviser dans ce but les stratégies existantes désigne comme « présentant une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des États-Unis ».
Dans cette perspective, les procureurs sont appelés à rechercher si le fait de corruption allégué est associé aux opérations criminelles d’un cartel ou d’une OCT, à du blanchiment d’argent pour le compte de cartels ou d’OCT, ou au versement de pots-de-vin par des cartels ou des OCT.
Le deuxième axe consiste à préserver des opportunités équitables pour les entreprises américaines. Le mémorandum affirme qu’en corrompant des fonctionnaires étrangers pour obtenir des contrats lucratifs et des profits illicites, les « concurrents faussent les marchés et désavantagent les entreprises américaines et d’autres entreprises respectueuses de la loi pendant de nombreuses années ».
Les procureurs sont donc invités à examiner si le fait de corruption allégué a privé des entités américaines spécifiques et identifiables d’un accès équitable à la concurrence et/ou a entraîné un préjudice économique pour des entreprises ou des personnes américaines spécifiques et identifiables.
Le troisième axe est la promotion de la sécurité nationale des Etats-Unis. Le mémorandum indique que « les concurrents stratégiques exploitent souvent la corruption et la faiblesse de l’État, au lieu de les décourager. Or, lorsque cette corruption se produit dans des secteurs tels que la défense, le renseignement ou les infrastructures critiques, les intérêts de la sécurité nationale américaine peuvent être mis à mal. »
L’application du FCPA se concentrera donc sur les menaces résultant de la corruption de fonctionnaires étrangers les plus urgentes pour la sécurité nationale des États-Unis en impliquant des infrastructures ou des actifs clés.
Enfin, la quatrième directive consiste à ne pas se concentrer sur les faits allégués impliquant des pratiques commerciales de routine ou des gestes de courtoisie minimes ou de faible valeur, généralement acceptés dans la pratique des affaires.
L’application du FCPA se focalisera plutôt sur les faits allégués qui présentent de sérieux indices d’une réelle intention corruptrice, tels que des paiements de pots-de-vin substantiels, des efforts avérés et sophistiqués pour dissimuler ces paiements, des comportements frauduleux à l’appui d’un système de corruption et des efforts d’obstruction à la justice.
Un cap : la promotion des intérêts américains
L’objectif assigné par l’Executive Order était clair : donner la priorité aux intérêts américains et à la compétitivité économique des États-Unis par rapport aux autres nations. Les lignes directrices le traduisent fidèlement.
Dans le contexte actuel de guerre économique conduite par le président Trump, cette direction donnée à la mise en œuvre du FCPA doit dès lors faire l’objet d’une attention vigilante des entreprises et des autorités françaises et européennes.
Pour les entreprises, cette politique d’application du FCPA peut constituer une source de risque du fait des poursuites dont elles pourraient être la cible et auxquelles les entreprises américaines pourraient en revanche échapper.
La potentialité, sinon la vocation « offensive » du FCPA mis en œuvre selon ces orientations est claire. Il s’agit d’en faire, comme des droits de douane, l’un des instruments du rétablissement de l’équilibre entre les entreprises américaines et les entreprises étrangères prétendument rompu au détriment des premières selon la rhétorique du président Trump.
Le mémorandum l’affirme sans ambages : « les systèmes de corruption les plus flagrants ont historiquement été commis par des entreprises étrangères ». Les cibles sont ainsi bien désignées : ces « entreprises concurrentes » qui exploitent la corruption et mettent « les entreprises américaines dans une situation de grave désavantage économique ».
Par conséquent les faits vers lesquels les investigations et les poursuites devraient se tourner ne sont pas principalement ceux que des entreprises ou des individus américains pourraient avoir commis, ni même ceux qu’ils ont directement subis.
Le mémorandum vise certes le « côté demande » de la corruption étrangère, lorsque des entités ou des individus américains spécifiques et identifiables ont été lésés par les demandes de pots-de-vin de fonctionnaires étrangers. Mais les lignes directrices ont principalement sinon exclusivement en vue des collusions entre acteurs étrangers ayant des conséquences négatives pour les intérêts américains.
Ainsi, dès lors qu’elles sont en concurrence avec des entreprises américaines, en particulier dans les secteurs stratégiques – défense et infrastructures critiques – identifiés dans le mémorandum, quand bien même elles n’interagiraient pas directement avec elles, les entreprises non-américaines courent le risque d’investigations et de poursuites sur le fondement du FCPA, et notamment les entreprises européennes.
Il est en effet significatif que le mémorandum dénonce « l’infiltration des Cartels internationaux dans les gouvernements étrangers de l’hémisphère occidental ». Comme elle l’est avec les droits de douane, l’Europe est ciblée, le cas échéant par des accusations à visée principalement déstabilisatrices.
Ce risque est d’autant plus grand que la priorité donnée par les lignes directrices aux enquêtes sur les fautes graves peut permettre, notamment dans le contexte de pays à fort enjeu stratégique mais aussi au niveau de corruption élevé, d’éluder le comportement des entreprises américaines, considéré comme véniel, pour agir essentiellement contre des entreprises concurrentes accusées quant à elles de pratiques graves.
Dans cette perspective, il est possible de s’interroger sur les conséquences que les autorités européennes devraient tirer de ces lignes directrices. Une évolution de leur doctrine paraît d’autant plus justifiée que le mémorandum indique, de façon classique mais néanmoins importante dans ce contexte, que les procureurs FCPA doivent tenir compte de la probabilité (ou de l’absence de probabilité) qu’une autorité étrangère compétente chargée de l’application de la loi soit disposée et capable d’enquêter et d’engager des poursuites sur la même faute alléguée.
Réaction de la France et de l’UE
En France, on le sait, la création de l’AFA avait parmi ses buts celui d’éviter la déstabilisation d’entreprises françaises par des institutions étrangères, notamment américaines, grâce à la mise en place d’une autorité forte pouvant s’opposer aux revendications de compétence de ces institutions.
Mais cela ne s’est pas traduit formellement dans la politique de l’Agence. Ses différentes publications sont empreintes d’une parfaite neutralité. Elles n’affichent notamment pas pour objectif de protéger les intérêts nationaux.
Le projet de directive proposé par la Commission européenne mentionne quant à lui le fait que la corruption entrave le fonctionnement efficace et harmonieux du marché unique, crée des incertitudes dans la conduite des affaires et freine les investissements. Mais sa prévention est essentiellement justifiée par la nécessité de préserver les valeurs de l’Union, maintenir l’État de droit, instaurer la bonne gouvernance et la prospérité et l’atteinte des objectifs de développement durable des Nations unies.
Ce n’est pas exactement le sens des lignes directrices qui indiquent qu’en « plus de fausser les marchés et de saper l’État de droit, les entreprises qui versent des pots-de-vin à des fonctionnaires étrangers pour obtenir des contrats peuvent mettre leurs concurrents respectueux de la loi, y compris les entreprises américaines, dans une situation de grave désavantage économique ». L’éthique des affaires paraît constituer une considération secondaire par rapport à la recherche de compétitivité américaine.
Face à cette conception « offensive » de la lutte contre la corruption les autorités françaises et européennes devront être vigilantes et affirmer leur propre vision du level playing field en la matière, afin de protéger les entreprises ainsi que la compétitivité et la souveraineté françaises et européennes.
Pour en savoir plus sur la conformité à la FCPA, retrouvez nos conseils, bonnes pratiques et chiffres ci-dessous.