En 1973, Claude François chantait « Je suis le mal aimé ». Si une directive pouvait parler (à l’avenir, avec l’IA, peut-être…), il est certain qu’en 2025 la CSDDD (Corporate sustainability due diligence directive) reprendrait ces paroles. Peu de textes cristallisent en effet à ce point les critiques, surtout avant même d’avoir été appliqués, au point que le Président de la République lui-même, qui l’avait pourtant fait adopter lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, a eu ces mots expéditifs à son sujet lors du sommet Choose France : « off the table ! ».
La CSDDD ne devrait toutefois pas être rayée des tables législatives de l’Union européenne, mais elle pourrait être largement remaniée. La Commission européenne a fait une proposition en ce sens, dans le cadre du premier projet de directive omnibus présenté le 26 février 2025.
L’assaut lancé par l’omnibus
Pour l’essentiel, le projet d’omnibus propose les modifications suivantes :
- redéfinition des parties prenantes, en faisant disparaître la référence aux ONG et aux associations ;
- restriction des due diligence au rang 1 de la chaîne de valeur (partenaires commerciaux directs) ;
- suppression de l’obligation de mettre fin à la relation commerciale lorsqu’il n’est pas possible de remédier à un impact négatif ;
- évaluations périodiques de la chaîne de valeur a minima tous les 5 ans plutôt que tous les ans ;
- suppression de l’obligation de mettre en œuvre les plans de transition ;
- suppression du seuil minimal pour les plafonds de sanction ;
- suppression de l’obligation pour les États membres d’assurer la possibilité d’engager la responsabilité civile des entreprises pour violation des obligations de diligence.
Trop radical pour certains, trop timides pour d’autres, ce projet fait l’objet d’intenses discussions depuis sa publication. Celles-ci tiennent probablement au fait qu’un certain nombre de modifications du texte semblent relever davantage de l’introduction d’une flexibilité d’appréciation (pour les États, les futurs superviseurs ou les entreprises) que d’un véritable changement.
Une charge de brigade légère
La lecture du projet omnibus montre en effet que chaque modification apporte avec elle sa nuance.
La définition des parties prenantes est restreinte, mais pour regrouper celles qui ne sont plus listées sous l’appellation générique de représentants légitimes des personnes et des intérêts concernés.
Les due diligence sont limitée aux partenaires directs, sauf si l’entreprise a des informations plausibles concernant des partenaires indirects.
L’obligation de mettre fin à la relation commerciale est supprimée, mais l’entreprise n’est exonérée de sa responsabilité que tant que l’espoir de corriger l’impact négatif demeure, ce qui implique de fait de mettre fin à la relation si cet espoir disparaît.
L’évaluation périodique n’est imposée que tous les 5 ans, mais doit intervenir dans les meilleurs délais en cas de changement significatif.
Le seuil pour le plafond des pénalités disparaît, au profit d’une liberté d’appréciation des superviseurs qui doivent prononcer des sanctions dissuasives.
L’obligation de mettre en œuvre les plans de transition climatique disparaît, mais les plans doivent contenir des actions de mise en œuvre.
L’absence d’harmonisation de la responsabilité civile ne réduira pas le contentieux en la matière, elle pourrait au contraire l’augmenter ; en outre, la possibilité de d’obtenir réparation devant l’autorité administrative demeure.
Mécontents de ces nuances, les adversaires de la CSDDD n’ont pas désarmé, poussant pour réellement dévitaliser le texte, à défaut de pouvoir en obtenir la suppression. Ils ont eu l’écoute de plusieurs partis, et notamment du plus important d’entre eux au Parlement européen, le PPE, dont l’un des membres, rapporteur pour la Commission JURI, leader sur ce sujet au Parlement, a lancé l’offensive parlementaire.
Offensive parlementaire
Dans son projet de rapport déposé le 26 mai, Jörgen Warborn propose d’abord de relever le seuil d’effectif à 3000 salariés, sans en revanche modifier le seuil de chiffre d’affaires.
Il modifie également la définition des parties prenantes, en indiquant qu’entrent dans cette catégorie les individus ou les communautés « directement » affectées par les produits, services et activités de l’entreprise, de ses filiales et de ses partenaires commerciaux.
Il supprime par ailleurs la disposition permettant aux États membres d’adopter des dispositions plus exigeantes que celles de la directive, et étend en conséquence le domaine harmonisé à l’ensemble des dispositions de la directive créant des obligations à la charge des entreprises.
Le rapporteur modifie en outre la rédaction de l’article 8 pour introduire le principe que l’identification et l’évaluation des risques doit être faite sur la base d’une approche par les risques. L’évaluation des risques ne serait plus approfondie, mais simplement complémentaire à la cartographie des risques. S’agissant des partenaires indirects, l’évaluation ne s’imposerait qu’en cas d’informations plausibles, objectives, factuelles et vérifiables. Enfin, pour la réalisation de leur cartographie des risques, les entreprises ne devraient pas pouvoir solliciter d’informations de leurs partenaires commerciaux, mais uniquement se fonder sur des informations déjà raisonnablement disponibles. Ils ne pourraient solliciter leurs partenaires que pour l’évaluation des risques, mais pour ceux qui ont moins de 3000 employés, uniquement dans la limite des normes de reporting volontaires prévues par la CSRD, sauf impossibilité d’obtenir autrement des informations sur des impacts liés à des partenaires indirects.
Enfin, le rapporteur supprime toute référence aux plans de transition climatique dans la directive.
Plus radicales que celles de la Commission, ces propositions ne surprennent pas, tant le PPE s’est régulièrement montré critique à l’égard de la CSDDD. Plus surprenante est en revanche la position du Conseil de l’Union européenne, qui traduit une certaine convergence des luttes.
Convergence des luttes
Dans son mandat en vue du trilogue, adopté le 21 juin, le Conseil envisage en effet un certain nombre de modifications substantielles.
La mesure sans doute la plus significative introduite par le Conseil consiste à relever les seuils d’application de la CSDDD, qui passeraient de 1000 à 5000 salariés, et de 450 millions à 1,5 milliards de chiffre d’affaires net mondial.
Le Conseil apporte aussi des modifications concernant les plans de transition climatique. Là où la Commission proposait que les entreprises aient l’obligation d’adopter un plan « incluant des actions de mise en œuvre visant à assurer, par ses meilleurs efforts, la compatibilité du modèle et de la stratégie avec la transition et la limitation du réchauffement à 1,5 °C », le Conseil veut que les entreprises aient uniquement l’obligation d’adopter un plan « incluant des actions de mise en œuvre visant à assurer, par des efforts raisonnables, que le modèle et la stratégie contribuent à la transition et à la limitation du réchauffement conformément à l’Accord de Paris ». Le Conseil retire par ailleurs aux autorités de supervision une partie de leur pouvoir de supervision des plans, qui ne concerneraient plus que leur adoption et non leur conception. En revanche, il leur assigne la mission d’assister et conseiller les entreprises dans la conception et la mise en œuvre des plans.
Le Conseil réécrit également l’article 8, pour opérer une distinction nette entre la cartographie des activités de l’entreprise, de ses filiales et de ses partenaires directs, qui a pour objet d’identifier les grands domaines d’impacts négatifs sur la base d’informations raisonnablement accessibles, et celle de la chaîne d’activités qui, sur la même base, n’a pour objet que d’identifier les partenaires indirects. Une évaluation approfondie pour identifier des impacts négatifs liés à ceux-ci n’est imposée que si l’entreprise a, ou peut raisonnablement être considérée comme devant avoir, des informations objectives et vérifiables suggérant que la survenance de tels impacts du fait de ces partenaires indirects peut raisonnablement être envisagée. En outre, le Conseil précise que l’entreprise ne doit solliciter d’informations de ses partenaires directs que si nécessaire et, s’ils ont moins de 1000 employés, que s’il n’y a pas d’autre moyen.
Enfin, le Conseil réintroduit le seuil de 5% pour le plafond des pénalités.
Le mandat de négociation du Conseil en vue des trilogues se concentre ainsi principalement sur trois sujets : les seuils, la cartographie et l’évolution des risques et les plans de transition climatique. Compte tenu des positions du rapporteur, ils constitueront certainement, avec le sujet de la responsabilité civile, le cœur des discussions parlementaires à venir, dont on peut se demander si elles porteront à la CSDDD le coup de grâce.
Coup de grâce ou sursaut ?
Le 13 octobre, la commission JURI devrait adopter sa position, qui pourrait être validée par le Parlement européen en séance plénière la semaine suivante. Sera-t-elle dans la ligne du rapport de M. Warborn ? Sera-t-elle encore plus stricte ? Ou, au contraire, limitera-t-elle les modifications proposées par la Commission, pour ne pas limiter la portée du texte, mais uniquement en simplifier la mise en œuvre ?
Plusieurs groupes parlementaires, dont les deux plus importants après le PPE, les Sociaux-Démocrates et les Libéraux, qui forment avec lui la coalition au pouvoir, ont manifesté leur hostilité aux propositions du rapporteur PPE et déposé un certain nombre d’amendements ayant une toute autre philosophie que celle de ce dernier.
Quelle sera l’issue des futures discussions parlementaires ? Il est très difficile de le dire. Un facteur extérieur pourrait toutefois faire pencher la balance.
Dans une déclaration commune sur un cadre entre les États-Unis et l’Union européenne en vue d’un accord commercial réciproque, équitable et équilibré, l’Union européenne indique qu’elle « s’engage à tout mettre en œuvre pour que la CSDDD n’impose pas de restrictions excessives au commerce transatlantique. Cela implique notamment de s’efforcer de réduire la charge administrative pesant sur les entreprises, y compris les petites et moyennes entreprises, et de proposer des modifications aux exigences relatives à un régime harmonisé de responsabilité civile en cas de manquement au devoir de diligence et aux obligations liées à la transition climatique. L’Union européenne s’engage à œuvrer pour répondre aux préoccupations des États-Unis concernant l’imposition des exigences de la CSDDD aux entreprises de pays tiers disposant de réglementations pertinentes de haute qualité ».
Consécutive à l’accord conclu entre l’Union européenne et les Etats-Unis sur les droits de douane, qui a suscité la colère de nombreux parlementaires et groupes parlementaires, cette déclaration a renforcé ce sentiment au Parlement. Permettra-t-elle de faire comprendre que la CSDDD est un instrument de puissance européenne, et qu’il faudrait donc en modifier la rédaction pour la simplifier et accentuer cette dimension, plutôt que la dévitaliser ? L’avenir nous le dira…
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